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Posted on Feb 20, 2023
tl;dr:

C’est quoi le principe de neutralité technologique?

La neutralité technologique est le principe en vertu duquel l’État ne doit pas imposer de préférence pour ou contre une technologie donnée.

Ce principe a été notamment appliqué dans le cadre de la régulation de l’Internet.

L’OCDE recommandait, par exemple de tenir compte du “caractère fondamentalement ouvert de l’internet et la libre circulation de l’information, tout en faisant en sorte que la vie privée, les enfants et la propriété intellectuelle soient protégés de façon adéquate”.

L’objectif des recommandations de l’OCDE est de proposer un cadre commun aux entreprises et aux gouvernements lorsqu’ils réfléchissent à de nouvelles initiatives concernant l’accès à l’information, sa diffusion, sa portabilité et l’utilisation des plateformes et des réseaux.

Ce principe est aussi évoquée dans le considérant n°15 du Règlement général sur la protection des données élaboré par l’Union Européenne en ces termes:

Afin d’éviter de créer un risque grave de contournement, la protection des personnes physiques devrait être neutre sur le plan technologique et ne devrait pas dépendre des techniques utilisées.

Il est d’ailleurs possible de critiquer une loi ne respectant pas ce principe. A titre d’exemple, la France avait légiféré sur le droit d’auteur et les droits voisins. Une disposition sanctionnait alors différemment l’utilisation de logiciel d’échange pair à pair pour des actes de reproduction ou de mise à disposition d’œuvres protégées qui constitueraient des délits de contrefaçon (voir l’arrêt de la Cour Constitutionnel).

Traditionnellement, le principe de neutralité technologique est appliqué dans 3 situations :

  1. Dans le but de limiter des effets indésirables: des normes sont mises en places. Dans ce cadre, on précise le but de la régulation, l’objectif à atteindre, sans mentionner ou contraindre les acteurs à des moyens pour atteindre ledit objectif. Cette façon de procéder permet à chaque acteur de mettre en œuvre, un moyen, son moyen, pour atteindre l’objectif défini par le législateur.

    Vous l’aurez compris, cette “liberté” d’atteindre l’objectif peut être (est) un catalyseur d’innovation. Grâce à cette liberté, les moyens mis en œuvre par les acteurs régulés sont adaptés à leurs besoins et leurs activités. Il y a donc potentiellement plusieurs moyens mis en œuvre qui convergent vers l’objectif défini.

  2. Dans le but de définir le champs d’application de la régulation: intuitivement, cette situation est évidente. L’évolution technologique est rapide, voir hyper rapide dans certains secteurs. Sans respecter le principe de neutralité technologique, on tomberait dans une sorte “d’obsolescence juridique programmée” où chaque loi votée serait périmée à court ou moyen terme en raison de l’évolution technologique.

  3. Dans le but de structurer le marché: ici, c’est un peu le contre exemple où le législateur, pour favoriser le développement d’une technologie, va légiférer pour “contraindre” les acteurs à utiliser cette technologie. Cette façon de procéder est intéressante pour autant que l’objectif technologique soit pertinent.

Plus d’infos sur le principe de neutralité : voir Vincent Gautrais, Neutralité Technologique, rédaction et interprétation des lois face aux changements technologiques ou ici.

La neutralité technologique et les crypto-actifs.

Vous comprenez peut être où je veux en venir.

Les discussions de certains politiques tendent vers une réglementation des crypto-actifs qui fait fî du principe de neutralité technologique. Les débats sur l’interdiction des crypto-actifs crées par le mécanisme de consensus utilisant la preuve de travail est une parfaite illustration de cette situation.

Pour résumer la position de certains, ils considèrent que la preuve de travail est un mécanisme de consensus utilisant une quantité importante d’énergie alors il faut interdire les crypto-actifs émis par ce mécanisme de consensus.

J’ai malheureusement beau chercher un argumentaire pertinent et intelligent qui soutiendrait cette thèse, je peine à en trouver (si vous en avez, n’hésitez pas à le(s) partager).

En réalité, si l’on devait réfléchir correctement à cette question, il est nécessaire de se poser différentes questions qui sont, à ma connaissance, évitées au pire, ignorées au mieux.

D’abord, il faut se poser la question de savoir à quoi sert cette dépense énergétique mise en oeuvre dans une blockchain publique: il s’agit d’une dépense qui permet à un système de tenir à jour un registre de transactions sans tiers de confiance. Les valeurs sous-jacentes à l’usage de ces systèmes sont toutes défendues dans des textes internationaux (pour en citer quelques unes: droit de propriété, liberté de circulation des capitaux, présomption d’innocence,…). En interdisant l’utilisation d’une technologie en raison de sa consommation énergétique, on s’ingère dans les libertés des individus de manière très certainement disproportionnée et d’une façon non-adéquate à ce qui est nécessaire à une société démocratique (pour reprendre les concepts de la CEDH). En outre, il est contre-intuitif pour un législateur de restreindre l’usage d’un système qui promeut des valeurs protégées.

Il y a une forme de schizophrénie qui s’installe dans les débats sur le sujet et lorsqu’elle est dénoncée ou qu’une main est tendue, certains coupe court. (voir notamment ici où une députée européenne m’a bloqué de Twitter… elle est belle notre démocratie).

Ensuite, cette absence de prise en compte du principe de neutralité technologique va nécessairement amener une distorsion de concurrence. Le Web 3.0. qui prend forme sous nos yeux prône la décentralisation, la désintermédiation et la liberté individuelle.

Je l’ai déjà dit ici: croire que l’interdiction dans ce secteur est la solution relève d’une aberration. L’interdiction va immanquablement créer un appel d’air vers des états opportunistes ou plus “réfléchis”. Chacun sait que si le BTC ne peut plus être vendu sur des plateformes européennes, des plateformes étrangères récupéreront les crypto-convaincus qui en voudront. On arrive alors à des situations cocasses où sous le couvert de belles vertus, on crée un monstre incontrôlable (i.e.: les consommateurs de produits dérivés proposés par Binance se sont rués sur des plateformes exotiques après la suppression de ces produits lors de son arrivée en Europe).

Aussi, le principe de “reverse sollicitation” soit la « fourniture de services sur la seule initiative du client » permet de se placer hors champs des réglementations financières et à l’avenir du règlement MICA. Grâce à des agrégateurs, la recherche d’informations est facilitée et le principe de “reverse sollicitation” trouvera toute sa “puissance”. A quoi bon interdire dans ce contexte si ce n’est faire preuve d’une forme de démagogie nauséabonde?

Enfin, interdire l’usage d’une technologie pour des motifs écologiques pourrait être valide et accepté si l’ensemble des décisions politiques sont inspirées par de tels motifs. Or, en matière écologiques/énergétique, le manque de cohérence est un euphémisme et le postulat de départ est discutable… On essayera d’ailleurs d’en parler le 17 mars 2023 durant une table ronde à HEC LIEGE.

Pour aller plus loin sur le sujet:

Bitcoin: Cryptopayments Energy Efficiency ou encore Regulate Web3 Apps, Not Protocols (Part 1Part 2)