cryptoreflexions13

Posted on Feb 3, 2025

Le paradoxe du régulateur

Bonjour à tous,

Une fois encore, je prends la plume au sujet du rôle du régulateur. En juin 2023, j’avais publié une carte blanche dans laquelle je partageais ma vision du rôle d’un régulateur. Un blog plus complet et détaillé a également été rédigé ici.

Malheureusement, et sans trop de surprise, mes recommandations n’ont pas été mises en œuvre. Nous nous retrouvons cependant et avec une pointe d’amertume, 1,5 an plus tard dans la même situation. Voire pire…

Jean Cattan, qui a déjà écrit sur le sujet de la régulation et qui avait inspiré ma précédente carte blanche, a indiqué dans un billet du 24 janvier 2025, que « c’est le travail de la régulation : construire un espace économique ouvert au service de l’intérêt général beaucoup plus que d’en assurer la surveillance ». Je partage ce point de vue; néanmoins les remarques faites en 2023 sont toujours d’actualité.

Bis repetita?

Interessé(e)?

Let’s go !


Le problème

La mission première d’un régulateur financier est simple : 1) protéger les consommateurs, 2) garantir à l’intégrité des marchés et 3) favoriser un environnement économique sain.

Selon les propres termes de la FSMA, elle doit veiller au traitement honnête et équitable du consommateur financier et à l’intégrité des marchés financiers. Pourtant, lorsque cette mission est confrontée à l’immobilisme, voire à des décisions contre-productives, le régulateur devient paradoxalement un acteur qui fragilise davantage ceux qu’il est censé protéger.

Aujourd’hui, des milliers de personnes continuent d’être victimes de fraudes à l’investissement. Dans un communiqué du 23 septembre 2024, la FSMA indiquait [une hausse de 50 % des signalements de fraude à l’investissement en ligne au cours du premier semestre de 2024].

Dernièrement, la FSMA annonçait

  • Avoir reçu un total de 2621 signalements en 2024 concernant des activités irrégulières. Il s’agit d’une augmentation de 20 % par rapport à 2023.

  • Au cours de l’année 2024, la FSMA a publié un total de 16 mises en garde concernant un total de 297 entités frauduleuses et 396 sites web.

À noter aussi qu’entre juillet et décembre 2024, les consommateurs belges ont déclaré à la FSMA avoir perdu un total de 15.904.356,38 euros dans le cadre de fraudes. (voir aussi le Dashboard de la FSMA sur le sujet). Ce n’est donc pas un épiphénomène.

Ce fléau, en expansion, révèle l’ampleur de la menace pour les consommateurs et l’économie. L’évolution des techniques frauduleuses appelle peut-être à envisager des approches complémentaires.

Une piste intéressante et “logique” serait de faciliter l’émergence d’acteurs légitimes dans le secteur des crypto-actifs par exemple, capables d’offrir des solutions innovantes tout en respectant les normes de requises.

À force de parler des cours en montagnes russes que font les cryptos, beaucoup de personnes tombent dans le piège d’escrocs promettant un rendement nettement supérieur à ceux de leur livret d’épargne.

Le bitcoin a fait x % en quelques mois, c’est donc possible de gagner de l’argent avec les cryptos.

Voilà le raccourci que certaines victimes ont fait avant de cliquer sur un lien promettant des rendements mirobolants.

L’approche actuelle, qui semble privilégier une grande prudence dans l’octroi des licences “crypto”, pourrait involontairement créer un vide propice aux acteurs malveillants.

À l’inverse de ce que l’on connaît aujourd’hui, une régulation plus inclusive, qui encourage l’innovation responsable, pourrait mieux protéger les consommateurs.

Dans ce contexte, l’action d’un régulateur doit être examinée. Certes, le régulateur communique, alerte et publie des avertissements. Mais ces efforts, bien qu’essentiels, demeurent demeurent insuffisants face à l’ingéniosité croissante des fraudeurs et à l’ampleur des pertes subies par les victimes.

Ce constat d’impuissance ne s’arrête pas là. Il devient profondément alarmant lorsque l’on examine de plus près les pratiques du régulateur. Loin de se contenter d’une neutralité passive, certains régulateurs semblent activement dissuader l’octroi de licences “crypto” à des acteurs sérieux et légitimes. Il suffit de regarder le nombre d’acteurs régulés en Belgique dans le secteur.

Pour rappel, un régime VASP a été instauré en 2022 et a permis à quelques entreprises de soumettre une demande de licence. Pour la plupart, cette demande a été acceptée sous le régime d’une autorisation provisoire. Finalement, toutes les licences provisoires ont été retirées, sauf pour un acteur qui a pu continuer à exercer jusqu’à ce que l’on découvre le pot aux roses… Une situation inique pour les prestataires qui ont subi ce retrait d’autorisation provisoire d’autant que les raisons de ces retraits sont entourées “d’un flou artistique” dont notre Royaume a le secret.

Imaginer que des entreprises capables d’apporter des solutions fiables et innovantes soient régulièrement freinées, bloquées ou exclues du marché sous des prétextes qui interrogent ou de manière totalement discrétionnaires est pour le moins désolant. Ce comportement ne fait qu’amplifier le vide laissé. Et dans ce vide, prolifèrent les acteurs malveillants, avides d’exploiter des consommateurs mal informés ou à la recherche de propositions d’investissement plus intéressantes. (J’exagère à peine le trait).

Le paradoxe est ici flagrant : le régulateur, en limitant l’entrée d’entreprises sérieuses, contribue indirectement à l’augmentation des pratiques frauduleuses.

Cette posture, au lieu de renforcer la confiance dans les marchés financiers, nourrit une insécurité croissante. Les consommateurs, privés de solutions alternatives fiables, deviennent des cibles faciles pour des escrocs toujours plus sophistiqués. Ainsi, non seulement le régulateur échoue à remplir son rôle fondamental, mais il pourrait même aggraver la situation qu’il prétend résoudre.

Ce blocage est d’autant plus préoccupant qu’il va à l’encontre des principes mêmes de la régulation.

Je pense qu’un régulateur devrait être un facilitateur : il doit favoriser l’émergence d’acteurs performants et novateurs, capables de maintenir la confiance des consommateurs et de contrer les failles laissées ouvertes par l’inaction. En refusant d’adopter cette approche proactive, le régulateur ne se contente pas de manquer à sa mission, il participe au mal auquel il lutte et cette attitude devient un obstacle au développement d’un écosystème sécurisé.

Pour redresser cette trajectoire, il serait nécessaire de réévaluer la gouvernance et les priorités stratégiques d’un régulateur.

La lutte contre les fraudes à l’investissement ne peut se limiter à des avertissements ou à des campagnes de sensibilisation. Elle nécessite des actions concrètes, une ouverture à des acteurs sérieux et une vision à long terme visant à assainir durablement le marché.

Tant que cette réorientation ne sera pas mise en œuvre, le régulateur continuera d’incarner un paradoxe douloureux : une institution censée protéger mais dont l’immobilisme expose directement les consommateurs à des acteurs malveillants financiers.

Des raisons pouvant justifier l’immobilisme

Cette critique est forte et on pourrait trouver des raisons à cet immobilisme. Je suis également conscient de ne pas disposer d’une information complète mais cette obscurantisme nous empêche d’avoir une vue objective de la situation.

Mais ce n’est pas faute d’essayer.

Combien ont essayé? Combien de mains tendues et de courriers restés sans réponse?

Quoiqu’il en soit, ne soyons pas pessimiste. S’il y a des problèmes, peut-on trouver des solutions?

Une prudence excessive justifiée?

La prudence excessive du régulateur peut-elle être justifiée par des risques systémiques réels ?

Dans un contexte international, une approche conservatrice au niveau national protège peut-être davantage les consommateurs qu’une ouverture précipitée à de nouveaux acteurs?

Cette réflexion peut s’entendre mais n’est pas rencontrée dans les faits. Le marché des crypto-actifs est un marché mondial, facile d’accès et disponible à tout instant où de nombreux acteurs œuvres en Europe sous le couvert d’une licence en bonne et due forme.

L’entrée en vigueur complète du règlement européen Mica harmonise la législation et pose les bases d’un cadre clair.

Si la Belgique a connu son “FTX”(qui pourrait se résoudre sans trop de casse pour les clients victimes), il ne me semble pas suffisant de saper toute tentative et de véritablement bloquer les initiatives et autres demandes de licence au prétexte d’une seule affaire. Les USA ne se sont pas recroquevillés après FTX et les déclarations du Président américain (quoiqu’on pense de lui) fraichement élu laissent penser à une accélération du secteur aux USA. Idem pour la France qui n’a pas forcément réduit la voilure après les affaires crypto qui ont secoué les investisseurs en 2021 et 2022.

Et la généralisation d’une affaire à l’ensemble du secteur est un manque de nuance qui n’honore personne. Dépassons les clichés et avançons !

Des ressources financières limitées?

Les ressources limitées du régulateur pourraient expliquer cette stratégie : plutôt qu’un immobilisme volontaire, il pourrait s’agir d’une “priorisation contrainte” des moyens disponibles.

Sur ce point, je n’ai évidemment pas d’élément objectif à mettre sur la table. C’est une hypothèse que je fais et si elle devait être une réalité, il faut alors se poser la question de cette “priorisation contrainte”.

Le thème crypto est mis de côté pour quelle raison? Au bénéfice de quoi? Pouvons-nous nous targuer de fleurons régulés? Quel secteur surveillé par le régulateur connait un succès important sur nos terres?

Si la réponse est mitigée voire pire, qu’aucun secteur surveillé ne performe, cette priorisation contrainte devrait être challengée pour, peut-être, allouer des ressources sur d’autres thèmes plus “porteurs” ou “innovants”.

Est-ce que la Belgique a vraiment donner sa chance au secteur? Certains diront que oui même si je pense que le couac évoqué plus haut ne peut, en aucun cas être représentatif du secteur. Cette réponse reste cependant biaisée.

Le secteur crypto n’est pas représenté par un acteur. Il y a tellement d’autres parties prenantes à ce secteur. J’en veux pour preuve la carte blanche signée en décembre 2024 par 37 signataires (dont moi-même) issus de divers secteurs ce qui me semble confirmer la nécessité de donner sa chance à ce secteur.

Une méfiance systémique envers les institutions financières

L’impact de l’inefficacité régulatrice s’étend bien au-delà des pertes financières immédiates de certaines victimes. À long terme, elle engendre une érosion de la confiance sociale qui se manifeste au sein du secteur financier traditionnel.

De plus en plus, on constate que les citoyens développent une aversion plus ou moins modérées pour les investissements financiers dans le secteur traditionnel au regard des rendements proposés. L’apparente protection du secteur financier donne du grain à moudre à tous ceux qui soupçonnent un lobby bancaire tout-puissant, protégeant ses propres intérêts et empêchant la crypto d’émerger.

En outre, l’éducation financière est un sujet qui a été mis trop longtemps de côté. Les initiatives sur le sujet telles que les récentes propositions de Matthias Baccino confirment ce constat. Aujourd’hui, une part importante de la population n’a pas les outils et la compréhension pour évoluer dans le secteur financier. Pour reprendre la punch line de Baccino, “il est temps de prendre votre argent en main !”.

Cette acculturation financière est nécessaire et malheureusement, on retrouve, à tous les étages, des aberrations. Écoutez la discussion toute récente sur France Inter et le décodage de Claire Balva. Comment un journaliste de France Inter peut-il avoir une aussi mauvaise compréhension d’un concept aussi « basique » que l’offre et la demande et pourquoi, comme Claire Balva le mentionne, une telle déconnexion avec ces concepts ne se manifeste-t-elle que pour la crypto, et pas pour les autres secteurs ? (2008 semble déjà bien loin dans la tête de certains).

Cette méfiance s’étend même aux acteurs légitimes et régulés. Les consommateurs bondissent en constatant les taux d’intérêt plancher qui leur sont proposés sur leur compte épargne.

Furieux de voir leur épargne s’éroder face à l’inflation, certains consommateurs disposant d’un peu de capital cherchent des alternatives plus rentables auprès d’autres acteurs. Considérant, parfois à tort, que le système financier est pourri ou à tout le moins atteint de graves maux.

Il faut continuer à travailler pour un écosystème performant et innovant. Merci de lire Cryptomonnaie.be !