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Posted on Nov 24, 2024

Adoption croissante des crypto-actifs et cadre réglementaire en mutation

Une étude récente de l’ADAN, publiée en 2024, révèle que la proportion de détenteurs de crypto-actifs varie de 12 % en France à 17 % aux Pays-Bas. Ces chiffres, en constante évolution, témoignent d’une adoption croissante des crypto-actifs, une dynamique que l’on observe depuis plusieurs années. Les raisons derrière cette adoption peuvent être multiples, allant de l’amélioration des connaissances sur les crypto-actifs à la recherche de diversification des actifs, en passant par l’accès facilité grâce à des plateformes numériques de plus en plus intuitives.

Cette adoption traduit aussi une évolution des mentalités vis-à-vis des systèmes financiers alternatifs, mais elle n’a pas échappé aux instances législatives européennes, qui ont entrepris d’encadrer ce secteur. Le règlement sur les marchés de crypto-actifs (MiCA) a été adopté en 2024, quatre ans après la proposition initiale formulée par la Commission européenne.

L’objectif affiché était de protéger les consommateurs tout en garantissant l’intégrité des marchés financiers. La prolifération des actifs numériques suscitait des préoccupations non seulement quant à la volatilité de ces actifs, mais également quant aux risques potentiels de fraude et de blanchiment d’argent. Le 30 juin 2024, une première partie du règlement est entrée en vigueur, introduisant des règles strictes relatives aux émissions de stablecoins, des crypto-actifs conçus pour minimiser la volatilité qui caractérise d’autres actifs numériques.

Les stablecoins ont, en effet, connu une popularité grandissante en raison de leur promesse de stabilité, souvent arrimée à une valeur sous-jacente telle qu’une monnaie fiduciaire ou un panier de devises. Ce type d’actif est particulièrement prisé des utilisateurs qui cherchent à bénéficier des avantages technologiques des crypto-actifs tout en limitant leur exposition à la volatilité. Les émetteurs de stablecoins sont dorénavant soumis à des obligations accrues de transparence, de gouvernance et de réserve, et le cadre réglementaire MiCA vise à instaurer une cohérence dans l’ensemble du marché européen des crypto-actifs.

Les stablecoins, une menace pour la politique monétaire ?

Les stablecoins représentaient 8 % de l’ensemble des crypto-actifs en circulation en décembre 2023, selon l’ESMA.

Le règlement distingue deux types de stablecoins. Les jetons de monnaies électronique et les jetons se référant à des actifs (JRA).

Les jetons de monnaie électronique sont un type de crypto-actif qui vise à conserver une valeur stable en se référant à la valeur d’une monnaie officielle. Ils ne peuvent être émis que par un établissement de crédit ou un établissement de monnaie électronique.

Les JRA, eux, sont un type de crypto-actif qui n’est pas un jeton de monnaie électronique et qui vise à conserver une valeur stable en se référant à une autre valeur ou un autre droit ou à une combinaison de ceux-ci, y compris une ou plusieurs monnaies officielles.

Le règlement MiCA établit des plafonds à l’émission des JRA, dans l’objectif annoncé de protéger l’intégrité des marchés financiers et de prévenir tout impact potentiellement négatif sur la stabilité du système financier. Cette régulation intervient dans un contexte où les autorités monétaires craignent une perte de contrôle sur les leviers monétaires traditionnels.

Le Considérant 40 du règlement MiCA stipule que :

Les jetons se référant à un ou des actifs pourraient être largement adoptés par les détenteurs pour le transfert de valeur ou comme moyen d’échange, présentant ainsi des risques accrus pour la protection des détenteurs, en particulier les particuliers, et pour l’intégrité du marché.

Plus loin, le règlement indique qu’une autorité compétente pourrait refuser l’octroi d’un agrément si le modèle économique de l’émetteur représentait une menace grave pour l’intégrité du marché, la stabilité financière ou le bon fonctionnement des systèmes de paiement.

Ces restrictions appellent à une réflexion.

L’argument sous-jacent semble être , en réalité, la protection du monopole de la politique monétaire.

En effet, si les JRA devenaient trop populaires, les banques centrales pensent qu’elles vont perdre une partie de leur capacité à contrôler la masse monétaire et à mettre en œuvre leurs politiques monétaires de manière efficace.

Cependant, les JRA constituent-ils véritablement une menace grave à cet égard ?

Impact monétaire des JRA : mythe ou réalité ?

Selon moi, l’utilisation des JRA semble peu susceptible de perturber la masse monétaire car l’utilisation des JRA ne nécessite pas une création “ex nihilo”. Pour être utilisés, les JRA doivent être échangés contre quelques choses et leurs sous-jacents de réserves (monnaie officielle, d’un droit, ou d’une combinaison de ceux-ci) permettent d’éviter les “dérapages” dénoncés par MICA.

Plutôt que d’imaginer l’impact, en théorie, il ne me semble pas inintéressant d’examiner la situation concrètement.

Parcourons donc les moyens d’acquérir des JRA.

Un JRA peut être acheté à l’émetteur ou échangé sur une plateforme. On peut considérer que cet achat peut se faire soit par conversion d’un cryptoactif soit par l’achat “traditionnel” en monnaie fiduciaire (ci-après fiat).

Les JRA pourraient aussi être utilisé comme moyen de paiement pour payer l’achat ou la vente de biens ou de services.

Achat en monnaie fiduciaire (fiat)

Dans le cas d’un achat en monnaie “fiat”, on n’augmente pas la masse monétaire, elle reste stable et l’utilisateur va utiliser ses JRA à la place du fiat.

Lorsqu’un utilisateur acquiert des JRA avec des euros, il ne se produit aucune expansion de la masse monétaire fiat. L’impact est donc neutre.

Conversion d’un cryptoactif

Pour la conversion d’un cryptoactif, le résultat est, généralement, le même. Soit l’utilisateur a acheté ce cryptoactifs avec du fiat soit il a miné ou validé un bloc de transactions pour obtenir une récompense en cryptoactif.

Pour ce travail de minage ou de validation de bloc, l’utilisateur a dû acheter, en fiat, une infrastructure plus ou moins conséquente (proof of work) ou des jetons pour participer à la validation (proof-of-stake).

Ainsi, peu importe la nature de l’actif initial sous-jacent à l’émission des JRA, cette émission ne semble pas induire de déséquilibre au niveau de la masse monétaire.

Les JRA ne font que déplacer une partie de la valeur existante vers un autre support, sans expansion monétaire.

Cette dynamique est comparable à celle des dépôts bancaires traditionnels, où l’argent déposé sur un compte bancaire est remplacé par une créance envers la banque, sans modification de la masse monétaire totale.

Indisponibilité du fiat?

En réplique à ces explications, certains pourrait considérer que l’acquisition des JRA pourraient « bloquer » une portion de la masse monétaire fiat, rendant ainsi le fiat moins disponible et susceptible d’exercer une pression à la hausse sur sa valeur.

Si une part trop importante de la masse monétaire est indisponible, toute augmentation de la demande en fiat aura alors un impact sur le prix puisque l’offre est identique voir moindre.

Or, l’augmentation de la demande est hypothétique et très peu probable. J’identifie 2 raisons:

Les utilisateurs de fiat ayant acquis des JRA peuvent aisément récupérer du fiat en échangeant les JRA auprès des émetteurs (ceux-ci ont une obligation imposée par le règlement MICA à ce sujet).

Les détenteurs de JRA n’ont, a priori, pas besoin de fiat car ils utilisent les JRA en lieu et place du fiat échangé pour acquérir ces JRA.

Le blocage du fiat et ses conséquences me semblent donc sans pertinence dans l’optique des utilisateurs mais pourraient déranger la banque centrale qui rencontrerait un morcellement d’acteurs privés pouvant disposer de réserves conséquentes de fiat.

Une réglementation qui entrave la concurrence?

Les restrictions imposées à l’émission, notamment les plafonds très bas fixés à l’article 23 de MiCA (à savoir 1 million de transactions et 200 millions d’euros par trimestre), semblent surtout destinées à limiter l’émergence d’une concurrence sérieuse à un éventuel euro numérique, dont le développement est encore en cours.

En outre, ces plafonds posent la question de la place réelle des stablecoins dans l’écosystème monétaire européen. Alors que la Banque centrale européenne (BCE) explore activement la possibilité d’un euro numérique, la limitation des JRA pourrait s’apparenter à une mesure protectionniste visant à préparer le terrain pour une monnaie numérique d’État, sans laisser de réelles perspectives pour que des solutions privées s’installent durablement. Une telle approche risque de limiter l’innovation et à la diversité des solutions financières, qui sont pourtant importantes dans un contexte de transformation rapide des technologies financières.

Questions sur les conséquences de la réglementation

L’imposition de ces plafonds soulève plusieurs questions légitimes :

Surveillance des transactions : Pour vérifier le respect des plafonds, les émetteurs devront surveiller de manière précise les transactions, ce qui entraînera de nouvelles ingérences potentielles dans la vie privée des utilisateurs. Cette surveillance extensive est-elle proportionnée aux risques invoqués ? De plus, cette obligation de surveillance pose la question de la centralisation des informations financières et des attaques contre la confidentialité, qui est pourtant un des atouts clés recherchés par les utilisateurs de crypto-actifs.

Concurrence monétaire : La coexistence de monnaies concurrentes ne devrait pas nécessairement ébranler l’intégrité du marché. Friedrich Hayek, en 1976, avait déjà théorisé les bienfaits de la concurrence monétaire : permettre aux utilisateurs d’abandonner une monnaie inefficace au profit de celle qui préservera au mieux leur pouvoir d’achat. En pratique, une concurrence entre devises pourrait encourager les banques centrales à améliorer leurs pratiques et à proposer des politiques monétaires plus transparentes et responsables (mais c’est peut être pour ça qu’ils ne le souhaitent pas)

Innovation entravée : En limitant le volume des transactions et l’émission des JRA, le cadre réglementaire pourrait également freiner l’innovation dans un secteur où la flexibilité et la créativité sont essentielles. De nombreuses entreprises qui développent des solutions financières basées sur les crypto-actifs pourraient être dissuadées par une réglementation trop restrictive, préférant se tourner vers d’autres juridictions plus ouvertes et propices à l’expérimentation.

Un monopole sous couvert de protection du consommateur

Le règlement MiCA, bien que présenté comme une mesure de protection des consommateurs, semble avant tout destiné à préserver le monopole de l’émission monétaire. En fixant des plafonds bas et en renforçant les contraintes, le règlement protège les États et les banques centrales contre toute forme de concurrence potentielle, y compris celle provenant de monnaies plus stables et moins sujettes à l’inflation. Cette stratégie de maintien du statu quo pourrait être justifiée par la volonté de préserver la stabilité du système financier, mais elle risque d’aller à l’encontre des intérêts des consommateurs, qui pourraient bénéficier d’une plus grande diversité de choix en termes de supports monétaires.

Pourtant, le but premier de la politique monétaire devrait être de préserver le pouvoir d’achat des citoyens, et non de maintenir un monopole à tout prix. L’intransigeance de la réglementation actuelle, telle qu’elle est formulée, risque de manquer cet objectif fondamental. En cherchant à éviter toute perturbation du monopole monétaire, les régulateurs passent à côté d’une occasion de renforcer la résilience du système financier grâce à une diversité accrue des monnaies et des émetteurs.

Conclusion

Le cadre réglementaire européen des crypto-actifs, tel qu’il se dessine avec MiCA, soulève des interrogations légitimes sur les véritables intentions du législateur : vise-t-il avant tout à protéger les consommateurs ou à renforcer la prédominance de la monnaie étatique ? En restreignant l’émission des JRA, la réglementation semble s’orienter vers cette dernière option. Espérons qu’à l’avenir, une régulation plus équilibrée ou des assouplissements permettront de soutenir l’évolution du secteur monétaire et de favoriser une saine compétition, au bénéfice ultime des citoyens européens.

Une réglementation plus inclusive et souple pourrait favoriser non seulement la stabilité, mais également l’innovation et la compétitivité de l’Union européenne dans le domaine des technologies financières. Le succès du cadre réglementaire ne se mesurera pas seulement à sa capacité à encadrer, mais surtout à sa capacité à encourager des solutions nouvelles tout en préservant l’intégrité et la sécurité des systèmes financiers. Seule une approche équilibrée permettra d’atteindre cet objectif ambitieux.