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Posted on Oct 30, 2024

Avec un taux d’adoption croissant des crypto-actifs, les autorités belges commencent à se pencher de plus en plus sur la réglementation de ces actifs.

La question pour les investisseurs en crypto-actifs de savoir s’ils sont soumis à l’obligation de déclaration des comptes étrangers, y compris ceux liés aux crypto-actifs au Point Central de Contact (PCC) est récurrente.

En mars 2024, une question parlementaire est posée par un parlementaire sur la déclaration des comptes cryptos. Le Ministre y répond en mai 2024 (ici).

Cette question m’est posée de manière régulière et je répondais invariablement que l’obligation de déclaration telle que visée dans la réglementation belge découle de la qualité de l’établissement qui fournit le compte “crypto”. Lire notamment ceci et ça

Cette réponse découlait d’une interprétation stricte de la loi fiscale, confirmée d’ailleurs par le ministre dans sa réponse à une question en 2022, rappelée dans la réponse de 2024 en ces termes :

“*Comme indiqué dans la réponse à la question parlementaire n°1069 du 7 juin 2022 de monsieur De Caluwé (Questions et Réponses écrites, Chambre, 2021-2022, n° 91, p. 179), *la question de savoir s’il y a lieu de déclarer un portefeuille ou non dépend du statut de l’établissement financier auprès duquel sont ouverts les portefeuilles.”

L’actualité crypto de ces derniers mois a été mouvementée et je prends la plume (seulement) maintenant pour vous informer de ce qui est dit dans cette nouvelle réponse.

Voici ce que vous devez savoir sur cette obligation et comment elle pourrait s’appliquer à vous.

Le cadre légal de la déclaration des comptes étrangers

Tout contribuable belge possédant un compte étranger doit l’indiquer chaque année dans sa déclaration à l’impôt des personnes physiques et le déclarer au PCC.

Le PCC est une base de données électronique qui recueille les numéros de compte et contrats détenus par les résidents belges auprès d’établissements financiers à l’étranger.

L’obligation de communication, par le contribuable, des comptes étrangers repose sur l’article 307, § 1/1 du Code des impôts sur les revenus 1992 (CIR92).

Il impose une déclaration des (1) comptes de toute nature ouverts auprès (2) d’un établissement de banque, de change, de crédit ou d’épargne établi à l’étranger.

Il faut donc rencontrer deux conditions à savoir :

  1. disposer d’un compte de toute nature
  2. ouverts auprès d’un établissement de banque, de change, de crédit ou d’épargne établi à l’étranger.

La question de savoir si un wallet crypto doit être soumis à cette obligation de déclaration n’a pas de réponse claire et définitive à ce jour comme nous le verrons ci-dessous.

Rappel des types de wallets ?

Un wallet (ou portefeuille) est un support ou une application qui permet à un investisseur de stocker ses cryptomonnaies. Techniquement, le wallet n’est qu’une interface permettant de signer des transactions.

Il n’y a donc pas de crypto-actifs dans un wallet au sens strict du terme.

Il existe deux catégories de wallets :

  1. Custodial wallet : Dans ce cas, un tiers (généralement une plateforme d’échange) détient la clé privée du portefeuille, et donc le contrôle, au sens technique, des actifs. L’investisseur peut seulement autoriser les transactions, mais n’a pas accès direct à la clé privée.

  2. Non custodial wallet : Ici, l’investisseur détient lui-même la clé privée, ce qui lui confère un contrôle total sur ses fonds. Aucun tiers ne peut intervenir.

Les non custodial wallets peuvent être scindés en deux sous-catégories selon leur connexion ou non à Internet :

  • Hot wallet : Toujours connecté à internet, ce type de portefeuille est pratique pour les transactions rapides, mais expose les fonds à un plus grand risque de piratage.
  • Cold wallet : Un portefeuille qui n’est pas connecté à Internet, rendant son utilisation plus sûre contre les attaques en ligne, mais moins pratique pour des transactions fréquentes.

Les wallets sont-ils considérés comme des comptes étrangers ?

La législation actuelle (article 307, § 1/1 du Code des impôts sur les revenus - CIR) impose aux contribuables de déclarer tout compte étranger, défini comme « tout compte de toute nature, détenu auprès d’un établissement de banque, de change, de crédit ou d’épargne à l’étranger ».

Cela soulève la question théorique : un wallet crypto est-il un compte étranger au sens de cette définition ?

Selon la dernière réponse du Ministre :

“Le terme “compte de toute nature” a un sens très large et couvre notamment, mais pas exclusivement, les comptes d’espèces, les comptes d’épargne, les comptes de placement à terme, les comptes-titres, les comptes liés à un crédit hypothécaire ou tout autre forme de crédit, etc. Les “comptes de toute nature” recouvrent donc également les portefeuilles de cryptomonnaie.”

Cette réponse me semble critiquable dans la mesure où le droit fiscal est d’interprétation stricte. Il n’est donc pas permis de dire que cette expression à “un sens très large” pour y faire rentrer tout ce qu’on voudrait y faire rentrer.

Cela anéantirait le principe d’interprétation stricte du droit fiscal.

Considérant la dernière réponse du Ministre, nous devons constater que l’Adminsitration fiscale devrait penser que les wallets cryptos (custodial ou non custodial) “rentrent” dans la notion de compte “de toute nature”.

Toutefois, la 2e condition, relative à la qualité de l’établissement est là pour jouer les “gardes-fous”.

Compte ouvert auprès d’un établissement de banque, de change, de crédit ou d’épargne à l’étranger

La deuxième condition à remplir est donc de savoir si le compte est ouvert auprès d’une institution spécifique.

Dans sa réponse de mai 2024, le Ministre répond que :

Comme précisé dans rapport au Roi de l’arrêté royal du 23 juin 2019 portant exécution de l’article 307, § 1er/1 du Code des impôts sur les revenus 1992, les établissements de banque, de change, de crédit et d’épargne établis à l’étranger sont “les institutions qui, à l’étranger, prestent à titre professionnel des services financiers de même nature que ceux des établissements similaires établis en Belgique”.

Par conséquent, ce n’est que lorsque, eu égard aux activités et services proposés par la plateforme en ligne sur laquelle le portefeuille est ouvert, cette dernière peut être considérée comme un établissement de banque, de change, de crédit ou d’épargne établi à l’étranger, que le compte (c’est-à-dire le portefeuille de cryptomonnaie) devra être mentionné par le contribuable dans sa déclaration à l’impôt des personnes physiques et communiqué au PCC."

En résumé, selon le Ministre, le wallet crypto est un compte de toute nature. Il faut donc vérifier si la plateforme qui offre ce service est une plateforme qui, à l’étranger, prestent à titre professionnel des services financiers de même nature que ceux des établissements similaires établis en Belgique.

Non custodial wallet

Cette première considération permet d’ores et déjà d’affirmer que les non-custodial wallet ne doivent pas être déclaré.

Le Ministre le confirme expressément en ces termes:

en ce qui concerne les non custodial wallets (p. ex.: paper wallet, hot wallet, hardware wallet, etc.), dans la mesure où ils ne sont liés à aucune plateforme et qu’aucun intermédiaire n’intervient ni dans la conservation des fonds ni dans la gestion des clefs privées, ces comptes (portefeuilles crypto), au regard de ce qui précède, ne doivent pas, dans l’état actuel de la législation, être mentionnés dans la déclaration à l’impôt des personnes physiques ni communiqués au PCC.

Custodial wallet

Pour les custodial wallet, la réponse du Ministre est malheureusement peu éclairante :

 “*Il est fréquent que les portefeuilles susmentionnés (ndla: custodial wallet) soient ouverts auprès d’institutions établies à l’étranger qui, à titre professionnel, ne fournissent pas de services financiers de même nature que les établissements de banque, de change, de crédit ou d’épargne similaires établis en Belgique.    *Dans ce cas, les portefeuilles crypto en question ne relèvent pas du champ d’application de l’article 307, § 1/1, CIR 92 précité et ne doivent donc pas être déclarés.    Dès lors, en ce qui concerne les custodial wallets, dans la mesure où un intermédiaire intervient dans la conservation des fonds et dans la gestion des clefs privées du titulaire du portefeuille crypto et donc dans la sécurisation de ses cryptoactifs, il y a lieu de considérer ces portefeuilles comme devant être mentionnés dans la déclaration à l’impôt des personnes physiques et communiqués au PCC lorsque l’intermédiaire à l’étranger preste à titre professionnel des services financiers de même nature que ceux des établissements financiers similaires établis en Belgique”.

La version néerlandaise de la réponse ne nous donnent pas plus de clarté.

Sur la base de cette réponse on peut déduire 2 choses diamétralement opposées :

  1. Soit le fait que l’intermédiaire intervient dans la conservation des fonds et dans la gestion des clefs privées du titulaire du portefeuille crypto et donc dans la sécurisation de ses crypto-actifs équivaut à la prestation par cet intermédiaire à titre professionnel des services financiers de même nature que ceux des établissements financiers similaires établis en Belgique;

  2. Soit que l’intermédiaire doit prester à titre professionnel des services financiers de même nature que ceux des établissements financiers similaires établis en Belgique pour que l’obligation de déclaration du compte se matérialise.

A mon sens, il faut effectivement vérifier les prestations de la plateforme et/ou l’intermédiaire pour pouvoir répondre à la question initiale sinon, tout le débat n’aurait aucun intérêt.

La prestation de services financiers

Ce qui est donc déterminant est la notion “de fourniture de services financiers de même nature que ceux des établissements financiers”.

Cette notion de “services financiers” est une notion définie par la loi belge comme étant “tout service ayant trait à la banque, au crédit, à l’assurance, aux retraites individuelles, aux investissements et aux paiements”.

Ces prestations de services sont des prestations qui sont régulées par la loi. Pour les délivrer, elles nécessitent donc une licence ou une autorisation spécifique.

Dans ce cas, les prestataires de services de portefeuille “custodial” ne sont pas dans le champs d’application (sauf Revolut par exemple qui est un établissement “bancaire” traditionnel qui offre des services de conservation) puisqu’ils ne fournissent pas de services financiers.

La notion de paiement au regard des services financiers en droit belge

Une thèse qui est défendue par une certaine doctrine vise à utiliser la notion de paiement pour rattacher le custodial wallet proposé par les plateformes comme compte à déclarer.

Une première justification serait l’offre d’une carte Visa par certaines plateformes. Dans ce cadre, la notion de paiement seraient “rencontrées”.

Cette manière de voir les choses peut sembler logique dans la mesure où l’on considère que la plateforme centralisée offre un custodial wallet et une carte de crédit/débit qui, in fine, permet de faire des paiements.

Toutefois, à la la lumière des textes légaux applicables, il faut se rendre à l’évidence : cette thèse n’est pas “conforme” à la loi.

L’obligation de déclarer ne peut découler de ce raisonnement car la notion “d’opération de paiement” est définie par la loi et vise la notion de “fonds” qui est, elle aussi, définie par la loi.

L’opération de paiement est définie comme “une action, initiée par le payeur ou le bénéficiaire, consistant à verser, transférer ou retirer des fonds, indépendamment de toute obligation sous-jacente entre le payeur et le bénéficiaire;

La notion de fonds recouvre : les billets de banque et les pièces, la monnaie scripturale et la monnaie électronique au sens de l’article 2, 25°, de la loi du 11 mars 2018.

Précisons enfin que la monnaie électronique est définie comme “une valeur monétaire qui est stockée sous une forme électronique, y compris magnétique, représentant une créance sur l’émetteur, qui est émise contre la remise de fonds aux fins d’opérations de paiement(…) et qui est acceptée par une personne physique ou morale autre que l’émetteur de monnaie électronique.”

Sur la base de ces éléments, on voit donc mal comment on pourrait considérer des custodial wallet ou des cartes de crédit comme des services de paiements au sens de la loi (et qui induirait une obligation de déclaration).

Pourquoi déclarer son compte crypto ?

Même si la législation n’est pas parfaitement claire, certains conseillent aux investisseurs d’opter pour la transparence et de déclarer leurs comptes. Voici pourquoi :

  1. Position des autorités fiscales : Le Service Public Fédéral (SPF) Finances a déjà exprimé, via son porte-parole Francis Adyns, que les « comptes crypto » doivent être déclarés. Cela reflète la volonté des autorités de traiter ces comptes comme des comptes étrangers de toute nature.
  2. Transparence : Ne pas déclarer un compte peut être perçu comme un acte frauduleux. La déclaration des comptes crypto permet “de se conformer” et de montrer aux autorités que vous n’avez rien à cacher.

A titre personnel, je ne suis pas “partisan” de cette approche volontariste. Il ne s’agit pas de “faire plaisir” ou démontrer qu’on a rien à cacher. Nous vivons dans un état de droit et chacun, l’Etat y compris, est tenu d’appliquer les règles. Cela fait maintenant des années que les acteurs de la crypto demandent des clarifications aux autorités et la situation n’évolue pas réellement.

A noter que le contentieux judiciaire en matière fiscale est très important ce qui démontre et traduit le fait que l’Administration fiscale peut se tromper dans l’application de la règle. Dès lors, se fonder sur les déclarations d’un porte parole du fisc, qui n’a aucune valeur, n’est qu’une branche bien fine sur laquelle l’administration tentera de justifier sa posture.

Conclusion

Les obligations de déclaration des comptes crypto en Belgique ne sont pas encore totalement limpides, mais les réponses des autorités montrent une tendance claire vers une intégration des comptes custodial wallets dans le cadre de la déclaration au PCC.

A l’avenir, la directive DAC8 permettra également un échange automatisé d’informations.

L’hyper transparence arrive mais à ce jour, ce n’est pas le cas.

Chacun assumera donc ses choix à la lumière de ces éléments pour savoir si oui ou non, il doit déclarer son custodial wallet au PCC ou alors transférera toute ses crypto sur un non custodial wallet pour éviter toute discussion…